A PROPOS DU "FRENCH BORDEL"
Un vieux frère, initié en 1970, a réagi à un article récent sur le « French bordel » de la franc-maçonnerie française.
Ce frère de très grande culture maçonnique et qui a une connaissance approfondie des différents rites, connaît bien les dirigeants des grandes obédiences pour les avoir fréquentés durant des années.
Il a quitté la GLNF et fait aujourd’hui figure de vieux sage. Son analyse ci-dessous est donc particulièrement pertinente.
Joseph
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Mes bien chers frangins,
Le 15 mai 2014, François Koch disait dans un article de son blog La Lumière :
« Le Paysage Maçonnique Français me donne le tournis. Il ressemble vraiment à un joyeux bordel ». Il précisait que « L’expression « French Bordel » est de Jean Solis, éditeur bien connu de la blogosphère».
Un lecteur qui signe Msinger a rédigé le commentaire suivant : « Dans le fond, ce qui importe, c’est que chaque membre, loin de ces querelles, pratique une maçonnerie de qualité et se sente bien dans sa loge. (…) laissons aux dignitaires multiples et variés le soin de régler tous les problèmes et enjeux auxquels ils se sont eux-mêmes engagés (…) ».
Que ce soit le « bordel » dans la franc-maçonnerie française, il est difficile de le nier, mais de là a le trouver « joyeux »… Pour M. Koch, libre à lui d’appeler ça comme ça, puisqu’il n’est pas des nôtres. Après tout, ça fait partie de sa liberté d’expression. Mais quand on est franc-maçon, il faut être comme l’ami Solis à l’abri en Écosse pour se permettre cette facilité qui n’engage à rien et surtout qui ne permet pas d’y voir clair dans le « bordel ».
Comme le dit très justement Msinger, « (…) ce qui importe c’est que chaque membre, loin de ces querelles, pratique une maçonnerie de qualité et se sente bien dans sa loge ».
Avant d’aller plus loin, je dois dire que je n’ai jamais connu un grand maître qui ne soit pas purement et simplement un illettré maçonnique. Nos grands maîtres sont systématiquement d’une ignorance totale tant dans le domaine profane de notre histoire, que dans celui des rites, de l’initiation, de ce que c’est, comment ça fonctionne et à quoi ça mène, parce que ça ne les intéresse pas.
Je n’ai jamais connu un grand maître qui ait la moindre idée ne serait-ce que de l’existence de ce champ de l’initiation. Il est d’ailleurs frappant de constater qu’à chaque fois que l’on parle de cela à un grand maître, on l’embête (pour parler poliment), il regarde sa montre, il a « autre chose à penser », il s’enfuit en disant « on verra plus tard » ou « je te téléphone » et ainsi de suite.
Il y a à cela une bonne raison : les vrais maçons, ceux qui entrent en loge parce que, plus ou moins confusément, ils ont ressenti que l’initiation les concernait, ne sont nullement intéressés par le fait de devenir grand maître, d’accéder au pouvoir. Ils se détournent facilement d’un tel projet parce que le pouvoir, antinomique de l’initiation, ne les attire pas. Inversement, ceux qui ont reçu l’initiation alors que littéralement, cela ne les regardait pas, passent inévitablement à côté du travail initiatique et ne peuvent que trouver intéressante la montée dans la hiérarchie administrative de leur obédience. Croyant que dans une obédience, il faut faire comme dans une entreprise et grimper le plus haut possible, ils se lancent dans des « carrières maçonniques ».
Le problème que relève implicitement notre frère Msinger, c’est que les maçons de base, dans leurs loges de base, n’ont jamais créé le « bordel ». Il n’y a pas besoin de se plonger dans la lecture d’ouvrages savants. La simple consultation de la télévision, des journaux, du blog de M. Koch et autres médias de communication de masse, permet de constater que le « bordel » est systématiquement fabriqué de toutes pièces par des décisions abracadabrantes des grands maîtres. La base n’y est pour rien.
Ce n’est quand même pas la faute de la base si le grand maître de la GLNF a fait passer un règlement qui dit que tout pouvoir est entre les mains du grand maître. La chose est passée parce qu’il y a des grands officiers qui croient que l’obédience doit être au service du grand maître au lieu que le grand maître soit au service de ses frères.
Ce n’est pas la faute de la base si Juillet a passé un accord d’intervisite avec le Grand Orient sans demander leur avis aux frères de la GLAMF. Ce n’est pas leur faute s’il prend ensuite ses frères pour de doux naïfs en leur disant que cet accord ne sera pas appliqué puisque le règlement l’interdit (mais alors pourquoi l’avoir signé ?) et que l’article incriminé est « standard ».
Toutes les obédiences auraient signé comme ça des accords comprenant des articles standards qui ne sont pas appliqués. Ah bon ? Et puis quoi encore ? Le prétexte serait que sept loges avaient un problème de logement, alors que des dizaines de loges sont dans ce cas actuellement en France et que la GLAMF a justement mis en place des solutions immobilières.
Juillet se croirait-il fraternel ? Il a fait ça sans consulter ses frères et en tournant le dos sans le dire au grand projet de la GLAMF et de la confédération qui était d’obtenir la reconnaissance de la Grande Loge Unie d’Angleterre. Il ne faut pas sous-estimer l’intelligence des Anglais.
Ajouter des exemples ne servirait qu’à alourdir le dossier. Disons simplement que le « bordel » ne date pas de Stifani.
La raison de tout cela est la suivante. Prenez un homme normal, un Français moyen que l’initiation ne concerne pas, qui est par ailleurs passionné de pouvoir. Placez-le à la tête d’une association de 15.000 ou 20.000 bonshommes, voire davantage. Parez-le du titre ronflant de grand maître et d’une médaille en fer-blanc doré à côté de laquelle la légion d’honneur est d’une sobriété monacale. Mettez-le chaque jour ouvrable sur une estrade. Entourez l’estrade de complimenteurs qui le couperont de la réalité et qui n’arrêteront pas de lui dire qu’il est le plus beau, le plus grand, le meilleur. Votre Français moyen, placé dans de telles conditions, finira par péter les plombs. A force de s’entendre flagorner, il croira que ce qui lui passe par la tête c’est la vérité et prendra des décisions qui gâcheront le travail et la vie de ceux qui sont entrés en loge pour une quête initiatique.
L’ami Msinger se trompe hélas sur un point :
« (…) laissons aux dignitaires multiples et variés le soin de régler tous les problèmes et enjeux auxquels ils se sont eux-mêmes engagés (…) ».
Ils se sont engagés ? Ah bon ? Depuis quand les discours de grands maîtres engagent-ils à quoi que ce soit ? Juillet ne s’est pas engagé à demander l’avis des frères de la GLAMF avant de prendre une décision qui les engage justement dans la direction inverse qu’ils souhaitaient prendre. À la GLNF, Servel avait promis de rendre le pouvoir à ses frères.
Quant aux problèmes qu’ils devraient régler, le « bordel » dont parle M. Koch, les grands maîtres le fabriquent eux-mêmes de toutes pièces. Ne croyez surtout pas qu’ils vont « régler tous les problèmes » alors qu’ils en sont les créateurs. Mon pronostic est plutôt que la prochaine décision d’un grand maître, aggravera le « bordel ».
Au bilan provisoire :
L’an dernier, le grand maître du GO a obtenu que la GLTSO se retire de la confédération puis que le grand maître de la GLDF lui fasse une grande démonstration de « fraternité ». Voilà maintenant qu’il a fait perdre à la GLAMF toute chance d’obtenir la reconnaissance de la Grande Loge Unie d’Angleterre.
La confédération n’est plus qu’un mot.
Le GO a gagné.
Vivez donc votre maçonnerie dans vos loges ou dans une loge anglo-saxonne: c’est la seule solution.
Alfred de Talebonjour